Tempête de 1930 – suite

Le port d'Etel lors de la tempête de 1949
Ici, la tempête de 1949 – Archive
Dans l’article d’octobre 2018, me manquait de la documentation dont l’accès est aujourd’hui facilité par la mise en ligne de la presse ancienne et, nouveau, par une lecture plus confortable grâce à l’OCR …après quelques retouches mais c’est très bien.
L’article proposé ci-après est émouvant même si le style verse  – dans le langage actuel – dans l’émotionnel.
Lorsque nous étions enfant (nés après guerre), le souvenir de cette tempête était encore bien vivant et a permis – ou empêché – bien d’entre nous à devenir marin tant les familles désiraient nous voir « rester à terre », certains pères interdisant formellement à leurs garçons de descendre à bord du bateau…de peur que le virus ne prenne….
Voici donc l’article et le lien pour lire l’Ouest-Eclair en ligne: pour agrandir, cliquer sur la loupe à gauche, une nouvelle page s’ouvre qui peut s’agrandir….

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APRÈS LA TEMPÊTE

L’OUEST-ECLAIR DANS LES FAMILLES DE CEUX  QUI NE SONT PAS REVENUS

Lorient, 19 octobre 1930

La brume avait étendu son manteau d’ouate sur toute la côte, et c’est après l’angélus qu’une fugitive éclaircie vint chasser les tristes pensées qui nous assaillaient au moment d’aller chez eux.

Un mois déjà depuis ce jour tragique de la ruée des flots contre les frêles esquifs luttant dans la tourmente Et puis, voici les premiers retours des dundees désemparés.

Toute la semaine, les quais et les môles avaient été parcourus par des visages inquiets, cherchant à savoir parmi ceux que l’Océan avait épargné quelque chose de précis sur le sort des matelots encore au large. Ces souvenirs des derniers jours d’équinoxe repassaient en notre mémoire, cependant que la voiture nous emmenait vers les mêmes lieux, dans les mêmes villages; car voyez-vous, depuis des siècles, nos marins ne se recrutent que dans les mêmes agglomérations.

On s’inquiète souvent de l’exode des ruraux vers la grande ville et la crainte est justifiée. Sur la côte, on ne redouterait pas cet abandon. Seulement, il y a la mangeuse d’hommes.

Dans cette effroyable liste des 200 marins morbihannais et finistériens disparus, il y avait sans doute des pères de famille nombreuse, et dont les enfants errent maintenant l’âme en peine d’une chaumière à l’autre; mais il y avait beaucoup de jeunes gens dont on attendait le retour pour de prochains mariages.

Nous sommes donc retourné où, voici trois semaines, on pleurait dans les foyers la mort de tant de braves gens Méro. Lotodé. Kerbastard, Le Port, Le Guen. Guillevic (Joseph). Danigo, Padellec. Dréano, Le Dorze. Guyonvarch, Madec, Jouannic, Causeur. Stéphant. C’est à dire Port-Louis. Locmalo, Riantec, Kerner, Plouhinec, Le Vieux-Passage. Magoire. Pont-Lorois. Etel, où au nom de l’Ouest-Eclair et de ses lecteurs, nous avions réparti le crédit de 5.000 francs mis à la disposition des infortunées familles sinistrées.

Pour consoler et secourir, nous avons à nouveau frappé à des portes voisines dans les mêmes hameaux; car le malheur s’est étendu à d’autres foyers Belz-Bourg, St-Cado et plus près de Lorient, Locmiquélic

Des villages dans la désolation

Après avoir, à deux pas de l’église de Belz, serré la main d’une bonne mère de famille, Mme Hazevis, dont le mari était embarqué sur le Joseph-Pierre et dont trois enfants Madeleine, 8 ans; Anne, 5 ans, et Alfred, 2 ans, restent à élever; nous avons vu Mme Jean-Baptiste Guillevic, femme d’un matelot de la Joseph-Yolande.

Quelques instants après, nous étions à Saint-Cado, où Mme Jean-Marie Guillevic a mis au monde, voici un mois, un joli bébé, Gaston, ma foi bien éveillé. Le papa ne l’aura jamais connu .

Encore alitée, le visage reflétant toute la somme des souffrances humaines, la pauvre jeune femme a le regard perdu dans quelque vision lointaine.

Kerherno, en Belz, est situé sur la route de Pont-Lorois. Nous frappons à la porte close d’une auberge, où Mme Le Déoré, épouse d’une marin de la Joseph-Yolande habite. On ne répond pas. Nous tapotons aux vitres et nous voyons une femme que le chagrin semble la miner. Elle clôt bien vite son débit.

Depuis que tout est fini, nous dit-elle, j’ai fermé ma porte, voilà 10 jours de cela ».

La veuve du disparu est malade. Des sanglots lui montent aux lèvres, il lui reste, Dieu merci, deux enfants.

Nous lui demandons où habite la famille Poëdras. qui compte sept petits enfants. « Le père, lui dis-je, était embarqué aussi sur la Joseph-Yolande ?

Oui. me fait-elle. et cette fois son visage qui s’est creusé. fait mal à voir.

-C’est mon frère

Quelle plume pourrait décrira cela.

Le chemin est court de Kerherno à Kergroix où, dans une humble maisonnette. nous trouvons toute la famille du marin autour de la mère Jean. 16 ans. mousse de la Santez-Thérèse, qui était dans le grand coup de temps. C’est un petit gars au regard énergique; aussi en nous serrant affectueusement la main, il saisit fort bien notre allusion au grand devoir qui va lui incomber désormais.

Sa sœur Alice a 14 ans; ses frères Baptiste, 12 ans; Joseph. 8 ans; Yvonne, 5 ans: Jeanne- 2 ans et demi. et Rosa. 11 mois, que la maman porte encore et qu’elle passe à l’une de ses fillettes pour signer le reçu des 1.000 francs que nous lui remettons.

Trois Tréhin morts en mer le petit Louis l’évite par miracle

Un autre village important de l’agglomération de Belz est celui de Kerdonnerch, situé à gauche de la route d’Erdeven. Dans une maison où nous demandions notre chemin. une femme nous répond. Nous lui expliquons pourquoi.

– Voilà quatre ans. dit-elle, que mon mari est disparu en mer. Oui,  je comprends votre triste pèlerinage ».

De cette visite chez Mme Tréhin. nous emportons la plus douloureuse impression. Sur le pas de sa porte, elle nous aperçoit. Nous entrons.

-Chut, dit-elle. Et en passant le couloir, elle nous fait signe. Dans la pièce de gauche, allongé dans son lit, le beau visage émacié d’un vieillard apparaît au-dessous d’un petit crucifix de bois, cloué sur le mur blanchi à la chaux.

C’est mon père ajoute-t-elle. il a 83 ans et ne sait rien I

Ce « rien  » vous glace le coeur, quand retiré dans l’autre pièce, dont on a soigneusement fermé l’huis – la porte. La fille de l’octogénaire laisse couler ses larmes.

A bord de La Victoire, son mari, Joachim Tréhin, âgé de 46 ans. et son fils de 15 ans. Marcel, ont eu la mer pour linceul. En nous racontant cette terrible chose. la mère sanglote.

Voilà six ans mon petit Julien a été emporté lui aussi, il avait 15 ans.

Et maintenant elle clame sa douleur.

« Trois Tréhin. mon Dieu, trois Trehin

Nous lui parlons de son petit Louis âgé de dix ans.

« C’est un miracle qu’il ne soit pas resté avec les autres. Pensez donc, il avait fait les trois voyages précédents avec l’équipage. Ces petits, ils ne songent qu’à cela, la mer, la mer.

Les hommes lui disaient lors du dernier départ « Viens avec nous, petit Louis Mais le père n’avait pas voulu cette fois et malgré toutes les insistances des marins, qui jouaient avec le petit à bord, il était demeuré inébranlable »

Silencieuse maintenant, elle hoche la tète

« Lui aussi serait là-bas; il voudra partir un jour comme les autres « 

Un silence lourd pesé dans cette pièce aux volets à peine entr’ouverts.

Nous prenons congé en jetant un coup d’œil furtif sur le vieux demi-soldier, qui ne saura jamais la tragédie de son foyer, tant son enfant dissimule devant lui l’atroce agonie de son cœur.

Le brouillard s’est fondu maintenant dans une pluie froide. On dirait que la nature s’efforce de se mettre à l’unisson des âmes. C’est encore dans un jeune ménage. celui du matelot Terren, de Manéguen en Erdeven, que règne la tristesse. Ange Terren n’est pas revenu et son petit Roger, âgé de 20 mois n’a plus de père.

Nous revenons vers le Pont-Lorois, où nous devons grimper vers le hameau de Par-er-Nail, avant que vienne la nuit. Une excellente femme,Mme Jollivet, qui compatit tant aux souffrances des pauvres gens des environs, veut bien nous accompagner et nous voici dans le propret appartement de Mme Lofficial, dont le mari, Joseph Lofficial, âgé de 34 ans, commandait L’Ernest-Marcelle.

On nous présente ses trois enfants Marie, 5 ans, Rémy, 2 ans; Jeanne, 7 mois. La jeune veuve a près d’elle, sa mère âgée de 64 ans, dont le mari, ancien marin, revint aveugle de la mer.

C’est toujours en effet, vers celle-ci qu’ils vont tous et c’est pourquoi dans les deuils qui les frappent si souvent, toutes les familles étant apparentées sont chaque fois touchées. Comptez le nombre des Guillevic dans cette funèbre liste.

C’est par la visite du foyer de Rémy Guillevic. père d’un enfant, que nous avons terminé notre douloureux pèlerinage. (A suivre).

Demain, nous continuerons vers Etel, et l’autre côté de la rivière et Groix.

Louis LE GAL.

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